Crédit photo : © Catherine Peter, 2020.
Michel Poivert est Professeur d’histoire de l’art à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, où il a fondé la chaire d’histoire de la photographie, il est également critique et commissaire d’exposition.
Historien de la photographie, il a notamment publié La photographie contemporaine (Flammarion, 2018), L’image au service de la révolution (Le Point du Jour Éditeurs, 2006), Gilles Caron, le conflit intérieur (Photosynthèse, 2012), Brève histoire de la photographie, essai (Hazan, 2015), Les Peintres photographes : de Degas à Hockney (Citadelles & Mazenod, 2017), Gilles Caron, 1968 (Flammarion, 2018) et 50 ans de photographie française de 1970 à nos jours (Textuel, 2019). Il a notamment organisé les expositions La Région humaine (Musée d’art contemporain, Lyon, 2006), L’Événement, les images comme acteur de l’histoire (Jeu de Paume, Paris, 2007), Gilles Caron, le conflit intérieur (Musée de l’Elysée, Lausanne, 2013), Nadar, la Norme et le Caprice (Multimedia Art Museum, Moscou, 2015), Gilles Caron Paris 1968 (Hôtel de Ville, Paris, 2018), Philippe Chancel Datazone (Arles, 2019), “Métamorphose, la photographie en France 1968-1989” (Pavillon Populaire, Montpellier, 2022).
Il est par ailleurs président de l’association de préfiguration du Collège international de photographie (CIPGP).
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, ainsi que vos actualités ?
Cet automne, j’ai la chance de voir aboutir deux beaux projets. Tout d‘abord la publication d’un ouvrage intitulé Contre-culture dans la photographie contemporaine (Textuel) qui m’a pris plus de deux ans de travail et qui est fort bien réalisé. Je suis impatient de partager avec les lecteurs cette enquête et cette analyse qui brossent le paysage des nombreuses expériences photographiques « hétérodoxes » qui, depuis l’avènement du numérique, ont été conduites par des artistes qui ont à cœur de proposer une nouvelle conception de la photographie, alors même que l’on prétendait, il y a encore quelques années, qu’elle s’était dissoute dans la catégorie générale des images. L’autre projet qui s’accomplit est celui d’une exposition qui ouvrira le 29 octobre au Pavillon populaire de Montpellier. Elle est consacrée à la photographie française des années 1970-80 et s’intitule « Métamorphose – La Photographie en France 1968-1989 ». On y découvrira plus de cent photographes et près de 250 œuvres qui nous montreront à quel point la création a changé en deux décennies, et comment nous sommes les héritiers de ces « pionniers de la photographie contemporaine »
Après l’astronaute Jean-François Clervoy, l’astrophysicien Sylvestre Maurice, l’océanographe Catherine Jeandel, l’historienne de l’art Héloïse Conesa, vous êtes le parrain de la Résidence 1+2. Quelles ont été vos motivations pour accepter cette invitation ?
Il y a dans toute ma culture d’historien de l’art et de la photographie une évidence : l’artiste et le savant dialoguent en permanence. Soit directement, soit au travers de leur recours à la technologie, soit conceptuellement ou bien encore poétiquement dans leurs inspirations. Cette alliance s’est rompue dans nos imaginaires au 19e siècle avec l’idéologie du progrès et le primat de l’ingénierie. Alors que la réalité n’a cessé de prouver que l’univers artistique et l’univers des sciences sont restés en dialogue. Nous avons donc besoin de trouver de nouvelles formes de représentation de cette relation essentielle et qui, encore une fois, ne s’est jamais perdue. La Résidence 1+2 contribue selon moi, et dans le domaine de la photographie, à réenchanter cette alliance et surtout à en montrer la portée sociale – peut-être à réhumaniser une science souvent présenté comme trop « froide » et une création vécue comme trop « distante » et élitiste.
En quoi consiste votre rôle de parrain ?
Il est bien modeste en réalité ! Rencontrer, accompagner, dialoguer lors de séminaires, et surtout au travers de mes propres travaux donner de la visibilité aux valeurs portées par cette alliance des jeunes artistes et des scientifiques. Oui, c’est peut-être cela qui aura été mon rôle, avoir à l’esprit, lors de nos échanges avec les artistes, que tout s’invente dans le croisement des savoirs et des savoir faire. Une bonne partie de mon dernier ouvrage est en résonance avec ce « rôle » de parrain.
Que représente pour vous l’expérience d’une résidence photographique dans le parcours créatif d’un·e photographe contemporain·ne ?
Les résidences sont nombreuses et diverses, elles sont, aux côtés des commandes et des prix, un véritable moyen de vivre la recherche en art et donc de la financer sans faire de compromis avec le goût dominant et le marché. C’est une sorte de laboratoire ! Donner du temps, des moyens et un environnement aux artistes, c’est jouer un véritable rôle de mécène de la recherche-création, mais un mécène sans intérêt liés à l’ostentation, une sorte de soutien démocratique !
La photographie et les sciences ont-elles vocation à dialoguer et à interagir ? Quelles sont, selon vous, les synergies possibles ? Pour quels objectifs ?
Entendons-nous bien, en historien de l’art je dois le répéter ici : les « sciences » englobent les sciences dites « dures » et les sciences humaines et sociales. Donc oui, bien entendu photographie et sciences interagissent, souvent la photographie est un moyen de production documentaire comme un instrument méthodologique d’enquête et de description. Mais, au-delà de la stricte (mais complexe) valeur d’usage de la photographie, sa dimension créative entre en résonance avec des enjeux de recherche scientifique. Prenons l’exemple du paysage, ce « genre » consacré n’a eu de cesse de travailler depuis 50 ans notre rapport à la nature, en prenant pour sujet des « non-lieux », des « zones », etc. Et a modifié peu à peu notre imaginaire du paysage : l’art avance là où il n’y a pas encore d’image, et contribue à façonner nos imaginaires. Toute la conception que nous avons de la nature découle des représentations artistiques (de la littérature à la photo, de la peinture à la musique) comme de son étude scientifique, connaître, apprendre c’est avant tout avoir en commun une image à partager.
Enjeux artistiques, sociétaux, environnementaux, quels rôles peut jouer une résidence telle que la nôtre face à ces défis contemporains majeurs ?
Là où nous sommes, chacun, nous devons travailler l’éthique de nos pratiques. Une résidence comme la Résidence 1+2 non seulement combine les savoirs mais travaille sur le principe de la transmission entre différentes générations. Voilà des valeurs et des pratiques qui peuvent ensuite suivre des communautés d’intérêts et d’actions pour défendre des causes, innover, relier les enjeux environnementaux, politiques et esthétiques, c’est ce que Félix Guattari a appelé l’écosophie.
Propos recueillis par la Résidence 1+2