THE MUSEUM OF PLANT ART
Coffret 2023
Éditions Filigranes
AUTEURE : Almudena Romero
TEXTE : Michel Poivert
Format : 170 x 250 mm
Langues: Français/Anglais
Prix : 25,00€
Tirage : 400 exemplaires
ISBN : 978-2-35046-612-
#19 « The Museum of Plant Art » (Almudena Romero)
Pour en finir avec la cécité des plantes
À propos des fleurs et de la création photographique, Almudena Romero aurait pu partir de la référence moderne qu’a constitué, aux yeux de Georges Bataille* comme de Walter Benjamin**, le célèbre ouvrage Urformen der Kunst (1928) de Karl Blossfeldt. Ce catalogue de plantes agrandies et préparées sous l’objectif, servit de modèles pour les étudiants en arts décoratifs au début du 20e siècle, lorsqu’ils cherchaient de nouvelles formes dans la nature. Le livre devint très vite le manifeste d’une Nouvelle Objectivité, dont l’esthétique distanciée nous semble aujourd’hui peut-être, loin de notre sensibilité. Almudena Romero a préféré s’inspirer des exercices conceptualistes de John Baldessari, l’enseignant et l’artiste (Assignment sheets, 1970), proposant de répondre à la question « How can plant be used in art ? », et y répondre de façon performative. Là est l’occasion pour elle de renverser la perspective: il ne s’agit plus de lire des symboles dans les fleurs, ni d’y détecter un répertoire stylistique, mais bien de redonner leur place aux plantes. Cette désanthropisation entend réparer la cécité des plantes, cette incapacité anthropologique de l’humain occidental à considérer le végétal comme une espèce autonome - cette invisibilisation de l’être-plante.
S’interroger sur comment les plantes font elles-mêmes de l’art – et non comment elles en fournissent des motifs – permet de remettre en jeu le « grand partage », selon l’expression des anthropologues, entre nature et culture. Comment font les plantes, pour produire formes, couleurs, senteurs dans une harmonie telle qu’un art s’en dégage ? Comment conscientiser qu’il ne s’agit pas là seulement du résultat empirique d’une adaptation de la nature à des fonctions reproductrices ou prédatrices ? Les plantes font des couleurs, des formes et des senteurs. Cette agentivité des plantes demande, pour être comprise, à être abordée sur le plan esthétique, ce terrain commun aux humains et aux plantes. Celles-ci pourraient-elles nous enseigner leur art ? C’est toute l’entreprise d’Almudena Romero : donner à ressentir aux humains un langage qui ne leur ait pas familier. Déciller le spectateur, soit l’amener à voir la plante comme sujet (de droit) pour décoloniser l’imaginaire des fleurs et recevoir du règne végétal un signal nouveau, susceptible de se connecter pacifiquement à la beauté végétale, et nous laisser concevoir qu’elle est le résultat réfléchi d’un échange avec le monde.
Les plantes s’expriment pour leur besoin (pollinisation) - elles attirent, elles séduisent, elles repoussent, dansent, renoncent – elles s’expriment donc aussi par leurs désirs. La plongée optique, olfactive, tangible dans le monde des plantes d’Almudena Romero prend la forme d’un musée des artistes plantes. Cette encyclopédie poétique et savante appelle à considérer nos jardins comme de nouveaux muséums d’artistes naturels. Mais plus encore, elle nous montre le chemin par lequel nos rencontres avec les plantes se trouveront changées, et où nos sens nous permettront de faire un pas en direction des fleurs qui peupleront notre musée imaginaire.
*Georges Bataille, « Le langage des fleurs », Documents, n°3, 1929.
**Walter Benjamin, « Du nouveau sur les fleurs », Die Literarische Welt, 23 novembre, 1928.Michel Poivert