RÉSIDENCE 2019
Matthieu Gafsou, Matilda Holloway & Manon Lanjouère
Les quelques discussions que j’ai eu avec les artistes m’ont aidé à avoir une perspective sur ce que je fais. Nous, les scientifiques, nous sommes très accrochés à la réalité. Nous sommes des explorateurs, à vrai dire assez peu rêveurs. Avec eux, j’ai retrouvé cette part de rêve
Ces mots d’une grande sincérité sont ceux de notre parrain, Sylvestre Maurice, astrophysicien, astronome et planétologue, spécialiste de l’exploration du système solaire. Il témoigne de la curiosité touchante d’un scientifique à la renommée internationale pour des modes d’expressions artistiques à la force évocatrice insoupçonnée.
Il est vrai qu’à première vue, tout oppose photographie et science : elles n’ont ni le même objet, ni les mêmes méthodes et finalités. Si la première s’inscrit dans la raison et la réalité, la seconde convoque le sensible et les imaginaires. Et pourtant, à y regarder de plus près, elles ont en commun de questionner le monde en rendant visible l’invisible, repoussant les frontières de la connaissance, donnant à voir autrement. Si la photographie raconte les circonvolutions du monde, les sciences nous aident à mieux le comprendre.
Créée fin 2015, la Résidence 1+2 a pour ambition de faire se rencontrer des personnes qui à priori n’avaient aucune chance de dialoguer ensemble. A mi-chemin entre création et partage des savoirs, elle associe la photographie avec les sciences, produit, valorise et promeut une photographie d’auteur en liens étroits avec un patrimoine scientifique exceptionnel présent à Toulouse et en région Occitanie. Nous souhaitons créer, dans un esprit collaboratif et participatif, les conditions idoines permettant la fabrication de contenus sensibles. A Toulouse, artistes et scientifiques partagent des réflexions et des ressources, composent des savoirs inédits dans une sorte de fabrique des possibles. A une époque où les frontières s’effritent entre toutes les disciplines, réunir dans un même projet artistes et scientifiques, c’est les inviter à unir leurs forces, à impulser de nouvelles transversalités, à renouveler les formes créatives pour nous aider ensemble à mieux comprendre et agir face aux enjeux du monde contemporain. Pour cette quatrième édition, nos trois photographes en résidence s’inscrivent pleinement dans cette dynamique pluridisciplinaire explorant de nouveaux espaces de créations. Au croisement des sciences de l’environnement et sciences humaines (Matthieu Gafsou), des sciences de la représentation et sciences naturelles (Matilda Holloway), et des sciences aéronautiques et propulsions aérodynamiques (Manon Lanjouère), chacun participe de cette hybridation des champs de la connaissance. Soutenus dans leurs recherches par des institutions et des scientifiques inscrits sur le territoire métropolitain et régional, ils nous offrent leur subjectivité sur des surfaces sensibles multiples et renouvelées – photographies, détournements d’images, fictions, dessins, écritures, installations – dans une relecture assumée du réel.
En associant chaque année, pendant deux mois de production, trois photographes d’horizons, de générations et de pratiques différentes, la Résidence 1+2 se revendique comme un champ de confluences et un laboratoire d’expérimentations. En octobre-novembre, leurs oeuvres sont présentées sur des supports distincts comme autant de manières de raconter la même histoire : une exposition à la Chapelle des Cordeliers (17 octobre-17 novembre) et un coffret de trois ouvrages (éditions Filigranes). Un film de création (26 minutes) est confié au vidéaste Citizen JiF afin de mettre en perspective les trajectoires convergentes de nos résidents.
Comprendre et agir face aux enjeux du monde contemporain, c’est aussi interpeler chaque citoyen et construire avec lui de nouvelles réflexions pour de nouvelles pratiques. Ainsi, un week-end inaugural ouvert à tous les publics est organisé avec plusieurs temps forts dont le colloque national « Photographie & Sciences » au Théâtre de la Cité (12 octobre) où photographes, scientifiques et citoyens échangent lors de plusieurs tables-rondes thématiques et interactives.
En 2018, j’avais écrit : « la photographie et les sciences, un dialogue pour s’engager ». En 2019, ces deux disciplines enfin réunies ne sont-elles pas la matrice d’une liberté retrouvée ?
Philippe Guionie
Directeur de la Résidence 1+2
EDITO
LES PHOTOGRAPHES
SYLVESTRE MAURICE
PARRAIN 2019
Sylvestre Maurice est astrophysicien à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (IRAP, CNRS/UT3 – Paul Sabatier/CNES), astronome à l’Observatoire Midi-Pyrénées.
Il est planétologue, spécialiste de l’exploration du système solaire. Sylvestre Maurice a participé à de nombreuses missions d’exploration du Système solaire de l’Agence spatiale européenne et de la NASA. Il a ainsi étudié l’environnement de plasma et le champ magnétique de Saturne dans le cadre de la mission Cassini. Dans le même temps, il s’est intéressé à la composition chimique des surfaces planétaires, en commençant par la surface lunaire dans le cadre de la mission Lunar Prospector. Il a contribué, avec des collaborateurs américains, à la découverte de glace d’eau aux pôles de la Lune (1998) par spectroscopie neutron. Embarquant ce type d’instrument, la même équipe a découvert de l’eau à l’équateur de Mars (2004) grâce à la mission Mars Odyssey, et de la glace d’eau aux pôles de Mercure (2011) grâce à la mission Messenger. À partir de 2005, il imagine et coordonne avec son collègue Roger Wiens du Los Alamos National Laboratory la construction de l’instrument ChemCam à bord du rover Curiosity de la NASA. Cet instrument fournit les premières données françaises à la surface de Mars en 2012 et permet, avec les autres instruments de la mission, de démontrer l’habitabilité passée de Mars. Il coordonne aussi avec Fernando Rull de l’université de Valladolid le développement de l’instrument Raman sur le rover martien ExoMars de l’ESA qui devrait analyser la composition minéralogique des échantillons prélevés par la foreuse du rover, sous la surface de Mars jusqu’à 2 m de profondeur, pour identifier – si cela se présentait – des traces d’une vie passée sur Mars. Le rover ExoMars de l’ESA sera lancé en 2020. En 2014, il présente avec Roger Wiens une version améliorée de ChemCam pour le prochain rover de la NASA, Mars 2020. Sélectionné par la NASA sous le nom de SuperCam, cet instrument reprendra l’analyse chimique de ChemCam, et embarque de nouvelles voies de mesure Raman et infrarouge pour la composition minérale de Mars. La mission Mars 2020 a pour but de déterminer si la vie s’est développée à la surface de Mars et de préparer un ensemble d’échantillons qui seront rapportés sur Terre dans le cadre de futures missions martiennes, appelées missions de retour d’échantillons. La mission Mars 2020 décollera en juillet 2020.